Tunisie – Ennahdha : La dictature est en marche !
À l’approche du premier anniversaire de la Révolution du 14
janvier, la transition « démocratique » prendra, selon toutes
vraisemblances, le chemin le plus long, tortueux et semé d’embûches. Le
nouveau gouvernement provisoire n’aura pas perdu de temps pour semer le
doute dans les esprits. Une quinzaine de jours à peine d’exercice du
pouvoir et deux mois et demi après leur victoire aux élections du 23
octobre, le parti Ennahdha ne tarde pas à faire tomber les masques. La
construction d’une dictature au nom du peuple, de son guide Ghannouchi
et du Divin est en marche. Après le coup d’Etat médical de 1987, 2012
sera également l’année du « Changement », celui d’un coup d’Etat
institutionnel en construction.
Tout régime autoritaire a ses règles auxquelles les dictateurs en herbe
ne sauraient échapper. La construction de la dictature tourne autour de
trois axes essentiels que sont la répression policière, le contrôle des
médias et une idéologie fasciste qui se cristallise généralement autour
du concept de l’identité. À cela s’ajoute, subsidiairement, le principe
du culte de la personnalité. En l’absence d’une de ces données, le
régime est mis en danger et le mouvement Ennahdha, en l’espace de deux
semaines, prouve qu’il n’entend pas déroger à ces règles.
Le coup d’Etat institutionnel commence avec l’Organisation provisoire
des pouvoirs publics et le péché originel sera celui des alliés en
déperdition que sont Ettakatol et le CPR qui n’ont pas vu le danger
venir, signant un chèque en blanc aux desseins hégémoniques des
islamistes. Mohamed Bennour, porte-parole d’Ettakatol l’avait déclaré en
personne à Business News, « nous avons fait une erreur », allant
jusqu’à avouer que le projet approuvé n’avait pas été étudié. Ennahdha,
pour noyer le poisson et calmer les ardeurs des contestataires, fait
quelques petites concessions mais le mal est fait, les islamistes
s’emparent de l’essentiel du pouvoir. Institutionnellement légitimes
avec deux partis dits de gauche pour alibi (comme c’était le cas en Iran
après la Révolution ayant déchu le Shah), les dirigeants d’Ennahdha
peuvent, à présent, se montrer sous leur vrai visage.
La question de la sécurité d’abord. Le principe dictatorial est simple :
accuser des parties obscures qu’on appelle aujourd’hui l’extrême gauche
ou la gauche tout court (au temps de Ben Ali c’était les islamistes),
de vouloir installer le chaos en appelant à des mouvements de
protestations. Les coupables, ces ennemis de la patrie, doivent être
maîtrisés et, pour cela, l’emploi de la force ou l’intimidation ne sont
pas écartés.
Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des sit-inneurs
affirmant avoir été menacés par des militants d’Ennahdha de plusieurs
années d’emprisonnement s’ils ne mettaient pas fin à leur sit-in. D’un
autre côté, les enseignants et les étudiants venus protester au
ministère de l’Enseignement supérieur ont été physiquement agressés par
les forces de l’ordre, qui, parait-il, ont usé de la violence sans que
l’ordre leur soit donné. Par ailleurs, le limogeage annoncé par le
Syndicat (mais non confirmé par le ministère de l’Intérieur) de Moncef
Laâjimi de la direction des brigades d’intervention, éveille des
suspicions quant à la volonté d’Ennahdha d’avoir un contrôle plus
efficace des forces de l’ordre. Notons enfin qu’Ennahdha dispose d’un
appareil sécuritaire qui lui est propre et qui est généralement déployé
lors des manifestations de ses partisans ou encore à l’occasion d’un
déplacement de ses dirigeants. Ce service d’ordre reconnaissable
généralement par le port d’un gilet blanc avec le logo du parti rappelle
les milices RCD ou encore celles de Mohamed Sayeh du temps de Bourguiba
(les premières du genre dans la Tunisie moderne).
Le contrôle policier en marche, Ennahdha s’attaque à présent aux médias.
En effet, qu’est-ce qu’une dictature sans contrôle total de la
communication et de l’information ? Les islamistes le comprennent mieux
que personne et se sont attachés, depuis qu’ils sont au pouvoir, à
pointer du doigt les médias. Pour préparer le terrain, Rached
Ghannouchi, Hamadi Jebali et Samir Dilou se sont relayés dans les médias
pour dire tout le mal qu’ils pensent d’eux et la nécessité de recadrer
les journalistes ne répondant pas à la volonté du peuple. La piqure
injectée, ils attendront quelques jours avant d’annoncer
unilatéralement, les remplacements à la tête des médias publics. Et quoi
de mieux pour mettre en place la propagande dictatoriale que de mettre
en poste les plus compétents dans le domaine, les anciens agents de
l’appareil d’Etat et propagandistes de Ben Ali ? Il est attendu d’eux
qu’ils jouent le même rôle joué à l’époque et le travail de sape a déjà
commencé ; le nouveau PDG de la Télévision nationale, Adnene Khedher,
ayant en effet envoyé une « demande », par huissier notaire, au
directeur de l’hebdomadaire Al Oula, l’enjoignant de ne pas publier un
dossier le concernant, prévu pour l’édition de demain, mercredi 11
janvier 2012. Nous avions en outre déjà évoqué l’agression physique des
journalistes au ministère de l’Enseignement supérieur et la confiscation
de leur matériel, rendu après destruction de preuves compromettantes.
Le troisième axe enfin est idéologique. Le principe est de faire
accepter à la population les deux premières règles dictatoriales, le but
n’étant pas de finir comme les récents dictateurs déchus. La question
de l’identité reste le concept idéal pour tout dictateur fascisant. Ce
concept, vieux comme le monde est généralement à la base de nombreux
génocides ou épurations ethniques dans le monde, et consiste à faire
émerger le principe de la pensée unique, où ceux qui sont différents ou
considérés comme tels sont les ennemis de la nation.
La nouvelle identité à la mode, en Tunisie, est l’identité «
arabo-musulmane », et le parti islamiste est le mieux placé pour en
maîtriser la portée et se l’approprier. Tout ce qui ne répond pas à ce
qualificatif identitaire est un danger pour la Tunisie. Une identité
dite arabo-musulmane n’ayant aucun sens en soi, car elle pourrait
théoriquement englober et assimiler les Tunisiens au Saoudiens, par
exemple. L’analogie de l’identité d’un Tunisien à celle d’un citoyen de
pays du Golfe est donc sujette à toutes les interrogations. Mais qu’à
cela ne tienne, l’identité sera imposée et le Tunisien sera «
arabo-musulman » ou ne sera pas. Il faut éviter de parler des langues
étrangères (le français notamment considéré comme « pollution
linguistique » parlé par les « déchets de la francophonie), s’ouvrir à
d’autres cultures ou montrer sa diversité. Le retrait identitaire est un
des socles de l’intégrisme idéologique et de la dictature de la pensée
unique. Ennahdha excelle dans le domaine, jusqu’à obliger les partis de
l’opposition craintifs et traumatisés par leur échec, à répéter à qui
veut l’entendre qu’ils sont « attachés à l’identité arabo-musulmane de
la Tunisie », quel que soit le sujet qu’ils abordent.
Pour finir, les dirigeants ne peuvent pas, à eux seuls, instaurer cette
nouvelle dictature. Ils ont besoin d’une base solide et dévouée. Cette
base criera des slogans antisémites à l’accueil du chef du Hamas, cette
base se déplacera dans toutes les manifestations contre le pouvoir afin
de les faire échouer, et donner l’illusion d’une population qui soutient
le régime, sans faille, à l’image des klaxons et des manifestations de
joie au soir d’un certain 13 janvier. Les sympathisants du parti
islamiste donnent aujourd’hui leur bénédiction à la nouvelle dictature…
Au nom du peuple, de Dieu et de Jebali, Amen !
Crédit photo : Le Maghreb
Monia Ben Hamadi