vendredi 30 septembre 2011

PITIE POUR NOTRE DEMOCRATIE

Pitié Messieurs les journalistes occidentaux, arrêtez de nous faire croire que nous sommes plus beaux que nous ne sommes et que notre printemps est éclatant d'intelligence. Vous nous avez déjà fait le coup durant les décennies précédentes en nous forçant à penser que nos atavismes irréductibles feront de nous éternellement des sujets soumis. Nous vous demandons d'ouvrir enfin une petite brèche dans votre pensée unique super bétonnée qui couvre depuis des mois de son linceul noir nos sombres printemps de l’Océan Atlantique au Golfe Arabo-Persique. Certes, nous avons commencé à renverser nos dictateurs que vous couvriez de louanges à la limite de la flagornerie il y a à peine quelques mois. N’essayez pas de nous faire croire que notre liberté et nos droits de l’Homme doivent ressembler à ce qui se pratique au Qatar et en Arabie Saoudite, vos nouveaux chevaliers blancs de la liberté et des droits humains qui n’existent même pas dans leur vocable. Ne nous prenez plus pour des abrutis finis et rendez-nous service pour une fois en disant la réalité de nos révolutions qui sombrent dans l’anarchie et la gabegie intellectuelle et idéologique. 

Je sais que plus nous serons anarchiques et plus nos supposés atavismes reprendront le dessus, plus nous serons dominés et dominables. Ne nous enfoncez pas dans la bêtise en nous aidant à croire que nous sommes encore à l’âge de la Révolution française et qu’il nous faut un siècle pour parvenir à l’universalité de vos credo démocratiques. Beaucoup de mes semblables et peut-être une large majorité d’entre nous, ne souhaitent ni lauriers ni crème adoucissante sur nos plaies mais seulement la vérité que vous cachez : nous sommes en pleine anarchie et la Constituante que nous allons élire est un monstre conçu pour que le pays soit à jamais ingouvernable autrement que par les coups de force. Notre marche vers la liberté et la démocratie est taillée et retaillée tous les jours par des décrets loi scélérats à la mesure de ceux que vous avez décidé de bénir pour avoir la paix avec nous, dussions-nous tous passer sous qamis ou niqab au nom des mêmes atavismes. Vous ne nous aimez jamais autant que lorsque nous sommes bien différents de vous et que nous restons bien loin de vous. D’autres ont appelé ça essentialisme ou culturalisme, moi j’appelle ça paternalisme et néo-colonialisme. 

Si vous voulez vraiment qu’on vous rejoigne dans la marche de la liberté, dites-nous les erreurs calamiteuses que nous faisons et que sans doute, vous voyez parfaitement comme vous voyiez hier que nous croupissions sous des dictatures infâmes et corrompues dont vous flattiez presque la hauteur de vue et la modernité. Nous avons la naïveté de croire que nous ne sommes pas beaucoup plus bêtes que vous et que nous saurions instaurer la démocratie chez nous et instituer le respect absolu des droits humains fondamentaux sans passer par une décennie d’anarchie mortelle pour toutes les libertés. 

Soyez francs avec nous, expliquez-nous comment et pourquoi tous les pays de l’Est et même le Chili, et même l’Argentine, et même l’Afrique du Sud, sont passés si vite de dictatures aussi corrompues et encore plus impitoyables que les nôtres, à des démocraties incontestables et apaisées, sans violences extrêmes, sans forêts incendiées, sans centaines et milliers de morts, sans pillages ni rapines, sans Constituante fétiche ni règlement de comptes fleuves. Ils n'étaient pas à l’époque beaucoup plus riches que nous. J’ai connu l’Union Soviétique durant la Perestroika et vu, malgré la puissance militaire, des vieilles femmes trier les déchets dans les poubelles de Moscou pour manger. J’ai connu l’Afrique du Sud juste avant la sortie de prison de Mandela puis vécu à Johannesburg la journée historique où Frédéric Declerc, reconnaissant son échec lui a remis les clefs de manière civilisée. 

Malgré un siècle d’apartheid à côté de laquelle la dictature de Ben Ali peut être vue comme une douce démocratie, malgré la torture pratiquée des décennies durant, malgré les dizaines de milliers de morts de l’esclavagisme afrikaaner, malgré la misère indicible des townships de Cape Town et d’ailleurs, je n’ai vu ni forêts brûler, ni magasins pillés, ni villes assiégées ni Constituante s’organiser mais un passage à autre chose, moyennant une Constitution simplement amendée. La page a été tournée rapidement sans ressassement des douleurs à l’infini pour que le pays puisse vite se redresser sans tomber sous la coupe de qui que ce soit. Les comptes ont été réglés après et cela n’a pas empêché que la police et tout l’appareil de sécurité soient purgés, que justice soit rendue et que les coupables soient au moins reconnus comme tels sans appels à vengeance ni bûchers. Oui Messieurs dites-nous tout cela et plus encore : depuis quand une démocratie a besoin de 111 partis pour naître ? Pourquoi un peuple qu’on dit débarrassé de la peur et désormais conscient de tous les enjeux politiques serait-il incapable de décider par réferendum s’il veut une Constitution amendée en 15 jours ou une Constituante pour cuisiner un texte fondamental en 12 ou 36 mois comme certains le veulent ? Depuis quand la démocratie craint le peuple au point de ne pas lui demander directement s’il préfère avoir un président exécutif ou juste une poupée pour inaugurer les chrysanthèmes ? Pourquoi devons-nous, contrairement à vous, faire confiance à une assemblée qui détiendrait en son sein tous les pouvoirs exécutifs et législatifs, qui désignerait elle-même le futur président, qui en définirait elle-même les pouvoirs et prérogatives, qui déciderait elle-même de sa durée et qui, plus grave encore, pourrait convenir que le texte dont elle aura accouché n’a pas à être soumis à la sanction du peuple ? N’est-ce pas une première que d’appeler un peuple à voter pour donner pleins pouvoirs à une Assemblée qui n’aura aucun contre-pouvoir, aucun garde fou sinon sa propre bienveillance ? Cela ne vous rappelle pas d’autres dictatures ? Biensûr, vous allez observer la régularité des élections mais qui d’entre vous aura levé le voile sur la genèse du monstre que nous sommes entrain de créer ? Toute l’Europe s’en lave déjà les mains derrière le pudique « nous allons être à l’écoute des volontés du peuple tunisien « alors que le seul choix donné au peuple tunisien est de sanctifier une assemblée si émiettée qu’elle ne peut être que dictatoriale. Hélas Messieurs, votre volonté manifeste d’honorer nos errements et d’élever notre anarchie à la dignité de la démocratie, n’est que la manifestation, consciente ou non, de votre paternalisme et de l’insignifiance politique dans laquelle toujours vous nous reléguez. Nous voulons être vos égaux en démocratie et voulons que vous soyez aussi exigeants vis-à-vis de nous que vous l’êtes vis-à-vis vos gouvernants et que vous l’avez été vis-à-vis des pays de l’Est européen. Après tout nous n’avons pas inventé la démocratie et disons vouloir VOTRE démocratie dont vous n’avez cessé de nous dire qu’elle est « le plus mauvais système à l’exception de tous les autres ».

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