Jamais dans l’histoire de la Tunisie, l’aéroport de Carthage n’a autant accaparé l’attention des Tunisiens qu’après la Révolution. On
n’en a jamais autant parlé à la télé, dans les journaux, voire dans les
tribunaux, que depuis le 14 janvier 2011. Il y eut d’abord ces
tentatives de fuite à l’étranger d’une partie de la famille de Ben Ali
et de quelques Trabelsi.
On
se rappelle tout le scénario (tout le film) de leur arrestation et
l’incrédulité relative qu’il a suscitée parmi un grand nombre
d’observateurs locaux et étrangers. Ensuite, la douane déjoua les plans
de fuite de certains responsables du régime déchu et de quelques proches
de Ben Ali. Entre-temps, Saida Agrébi eut le loisir de réussir son
départ en dehors de nos frontières et cette évasion fit des remous au
sein du Gouvernement. L’accueil « triomphal » réservé à Rached
Ghannouchi, à sa rentrée d’exil, eut pour premier théâtre notre aéroport
international. Le retour au pays de Moncef Marzouki fut lui aussi
médiatisé à partir de là-bas. On n’oubliera pas de sitôt non plus la
marée islamiste qui accueillit le Premier Ministre turc lors de sa
récente visite en Tunisie : c’était également à l’aéroport de Carthage
qui peut aujourd’hui être considéré comme l’un des hauts-lieux de la Révolution
et de la période de transition démocratique. Du temps des dictatures,
les « évasions » des politiques pourchassés empruntaient la voie
terrestre pour gagner l’étranger : Ahmed Ben Salah et Mohamed Mzali en
savent quelque chose. Quant aux « mouvements » aériens dignes d’intérêt,
à cette époque-là, ils concernaient dans la majorité des cas les
départs ou les retours du chef de l’Etat, sinon ceux des grandes
personnalités étrangères qui se rendent chez nous. En tout cas,
l’aéroport de Carthage ne faisait pas alors figure d’espace politique
incontournable comme il l’est maintenant.
Pérégrinations controversées
Actuellement,
et plus particulièrement depuis l’avènement de M. Béji Caid Essebsi à
la tête du gouvernement provisoire, les voyages de celui-ci à l’étranger
et ceux des autres ministres ou des hommes politiques importants sont
suivis à la loupe par les médias et par l’ensemble des analystes
nationaux et internationaux qui aiment scruter le ciel du changement
démocratique sous nos latitudes. Le passage de nos grandes personnalités
par l’aéroport de Carthage n’échappe de ce fait à l’attention ni aux
commentaires de personne. Lorsque Si Béji, alors fraîchement désigné, se
rendit en Algérie et au Maroc, on ne resta guère indifférent à ce
voyage dont on interpréta plutôt mal l’opportunité et les objectifs. Le
déplacement au Qatar du Ministre de la Défense,
envoyé –nous disait-on-, en mission économique avait également suscité
beaucoup d’interrogations ; mais les réponses qu’on avait apportées à
ces questions eurent du mal à convaincre l’opinion publique et les
observateurs. La participation de Si Béji au sommet du G8 ne passa pas
non plus sans commentaires médisants. Tout comme son récent voyage aux
Etats-Unis : c’est indiscutablement l’un des voyages les plus
« mystérieux » de l’histoire des « mouvements » diplomatiques entre
notre pays et les U.S.A. Non seulement, il intervient à un moment très
sensible de la période de transition et se laisse donc entourer presque
volontairement de suspicion ; mais le Premier Ministre tunisien laisse
perplexe quant aux objectifs réels de sa mission au pays de l’Oncle Sam.
Curieusement, il nous a semblé à un certain moment faire campagne en
terre américaine au profit du mouvement Ennahdha. Coup de pouce précieux
dont Rached Ghannouchi a bien besoin pour se conforter dans ses
certitudes quant à la victoire aux élections de la Constituante. Béji
Caid Essebsi, émissaire des Islamistes tunisiens auprès d’Obama et des
grandes institutions américains ? Difficile à croire bien évidemment,
même si en défendant les « Islamistes du terroir » que sont nos
Nahdhaouis, Si Béji leur rend un fier service dont on ignore s’ils le
récompenseront plus tard. Mais la mission américaine de notre Premier
Ministre aux Etats-Unis fut autrement controversée : en effet, on
s’interroge beaucoup en ce moment (pas toujours innocemment, bien sûr !)
sur le choix de Mohamed Nouri Jouini, ancien ministre de Ben Ali et
dans le premier gouvernement de Mohamed Ghannouchi, pour faire partie
des accompagnateurs de Si Béji dans son tout dernier périple américain.
Au final et quand on se rappelle tous les « grands » voyages politiques
effectués sous le gouvernement de Béji Caid Essebsi, on constate très
vite qu’ils sont étroitement liés au destin du pays après la Révolution,
durant et après la crise en Libye, et après les élections du 23 octobre
prochain. Cependant, ces déplacements cruciaux pâtissent presque à
chaque fois du caractère parfois trop « top secret » que leur confère le
gouvernement qui les organise ! Ce qui, tout naturellement, autorise
les interprétations les plus sournoises, notamment de la part de ceux
qui, jusqu’à présent, ne sont toujours pas si sûrs des « bonnes
intentions » de Si Béji ! Remarquez, toutefois, que ce ne sont pas les
voyages officiels seulement qu’on suspecte. Un Nahdhaoui de la première
ligne qui va en Grande-Bretagne ou en Egypte, ça délie bien des langues
malveillantes. Idem quand il s’agit d’un homme du PDP ! Les voyages
forment la jeunesse, c’est vrai, mais en politique, ce sont surtout les
vieux loups qui pérégrinent !...
Badreddine BEN HENDA
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